Plaidoyer pour unevie nocturneriche, vivante et diversifiée

GENÈVE

La lune a détrôné le soleil ; nous commençons un nouveau règne. Le choix est là : sortir écouter un concert ou se contenter d’un simple verre dans un bar ; ou pourquoi pas une pièce de théâtre, un vernissage ou une rave dans la forêt.

Non, ce soir ça va être soirée lecture, le texte vient de commencer.

Les nuits genevoises présentent mille et une facettes ; chacun peut y trouver son conte. Chacun doit pouvoir se sentir chez lui, appartenir à la grande communauté humaine qu’est une ville globalisée. Genève, pour sa petite taille, compte de nombreuses tendances et couches de populations très variées. Chacune ayant ses origines, ses buts et ses idéaux, chacune vivant les nuits à sa propre façon. Les différences de prix des boissons renseignent déjà vite où l’on se trouve, ainsi que le style de musique, le type de gestion du lieu, le public...

Pourtant, cette diversité repose sur certaines libertés économiques et juridiques essentielles pour l’épanouissement de petites bulles de créativité et de sociabilité.

Or, depuis plusieurs années, une action politique principalement répressive limite l’épanouissement d’une vie nocturne riche, vivante et diversifiée.

Probablement que cette tendance s’inscrit dans un mouvement plus large touchant toutes les sociétés européennes sensibles au principe de précaution. Les cadres légaux se raidissent, ne laissant plus place à une diversité d’organisation, et des contraintes économiques toujours plus pesantes coulent les plus petites structures. Le désir de contrôle, de sécurité se fait toujours plus présent, toujours plus pressant. Et au niveau local, aucune vision claire de la vie nocturne genevoise n’est développée par les pouvoirs publics.

Voilà la raison d’être de notre Collectif : donner l’élan d’une vie nocturne riche, vivante et diversifiée.

Nous voulons partager ici les thématiques qui nous semblent importantes pour l’épanouissement de la vie nocturne genevoise, ainsi que les actions ou réflexions entreprises afin d’améliorer la situation.

Le monde de la nuit

Notre définition de la vie nocturne

Nous la souhaitons « riche, vivante et diversifiée » à Genève ; mais qu’est-ce que nous entendons lorsque nous parlons de « vie nocturne » ?

Nous considérons d’une part la vie nocturne comme un vécu potentiel durant une tranche-horaire, soit l’ensemble des activités sociales, culturelles et économiques du noctambule.

Nous pensons d’autre part la vie nocturne comme un ensemble de lieux : la diversité des lieux qui font la vie nocturne est un cadre approprié pour accueillir ces activités et ce vécu nocturne, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur. On peut certes effectuer des distinctions entre ces lieux selon différents critères mais il faut les appréhender de manière exhaustive et globale.

Nous abordons d’autre part encore la vie nocturne en tant qu’offre : ces lieux accueillent un public attiré par une offre. Cette offre nocturne peut être étudiée tant du point de vue de son potentiel quantitatif d’accueil que de son accessibilité.

Notre définition intègre ainsi un ensemble de composantes sociales, culturelles et économiques. En résumé, la vie nocturne correspond pour nous autant au vécu des noctambules qu’à l’offre qui leur est destinée, et ce dans différents lieux durant la nuit.

Une plus-value pour tous et un enjeu pour les jeunes

Partant de cette définition, nous considérons que la vie nocturne est une plus-value sociale, culturelle et économique pour la société. Elle répond au besoin très profond de rencontre sociale qu’a l’humain : elle permet son épanouissement social. Elle renforce la cohésion de la communauté et la matérialise par la fête. Elle permet la diffusion des cultures ; elle est ce moment privilégié de connexion entre l’artiste et son public. Elle fait rayonner la cité et fleurir son économie.

En particulier, pour les jeunes, la vie nocturne représente un enjeu conséquent. Les premières sorties équivalent en effet à une ouverture au monde importante pour les jeunes : explosion des possibilités de rencontre et d’épanouissement social hors de l’étroit milieu scolaire ; premières expériences décloisonnées du monde des adultes ; rencontre de cultures, de lieux et d’expériences indépendamment des parents. C’est un des principaux rites de passage à l’âge adulte. Dès lors, la découverte du monde de la nuit s’apparente à une initiation, à un apprentissage. Il est nécessaire de prendre en compte cet apprentissage de la vie nocturne par les jeunes.

Vers une vie nocturne riche
vivante et diversifiée à Genève

La situation actuelle

En observant la vie nocturne genevoise aujourd’hui, le Collectif pour une vie nocturne riche vivante et diversifiée fait deux constats :

Ses conséquences

La situation actuelle incite les jeunes à adopter de nouvelles pratiques festives en marge des lieux adaptés. Le manque de lieux de vie nocturne et la pression exercée sur les établissements restants contraignent les jeunes à consommer par défaut en extérieur ou dans des lieux inappropriés et à adopter des pratiques comme le binge drinking.

Il y a une diminution voire une disparition de lieux ouverts aux 16-18 ans. Suite aux pressions et menaces d’amendes, de nombreux établissements ont relevé leur limite d’âge de 16 à 18 ans en soirée. Ainsi, bien que la loi leur reconnaisse le droit à la consommation de certains alcools, les 16-18 ans n’ont pas de lieux pour exercer ces droits en pratique. Ils sont contraints de faire leur apprentissage de la vie nocturne en dehors du cadre approprié des lieux de sociabilité tels que les bars. Bien que ces campagnes explicites d’exclusion des jeunes de moins de 18 ans aient cessé car reconnues illégales, les jeunes ont en grande part intériorisé cette exclusion et changé leurs pratiques. Ils font ainsi leur apprentissage de la vie nocturne hors des lieux nocturnes traditionnels de transmission, d’échange et de contrôle social.

Ce contexte de manque d’offre et de tendance politique répressive amène une baisse des prestations nocturnes : on note par exemple une augmentation des prix, des relations plus difficiles entre tenanciers et clients, un manque chronique de places, des temps d’attente excessifs.

Le manque de diversité met à mal la créativité et le renouvellement culturel. Les initiatives culturelles et festives sont étouffées ou découragées par le contexte politique. Le cadre de régulation de la vie nocturne peine à tenir compte des réalités du terrain et de la diversité possible des modes de gestion qui permet la diversité culturelle et la création.

Changer de paradigme

Pour tendre vers une vie nocturne plus riche, vivante et diversifiée à Genève, il nous semble indispensable de changer de paradigme : d’une part, l’action politique liée à la nuit ne doit plus régler les problématiques nocturnes contre les lieux mais avec eux et les autres acteurs concernés. D’autre part, pour développer une vision à long terme, réduire l’écart entre le niveau politique institutionnel et le terrain, accompagner les projets venant de la société au lieu de les museler, il est nécessaire de développer un volet facilitateur et planificateur de la vie nocturne. En bref, œuvrons à la mise en place d’une véritable politique publique genevoise de la nuit qui soit globale et transversale.

Réguler : cette future politique de la nuit portera une vision et une stratégie de la vie nocturne qu’elle devra accompagner et encadrer. Elle contiendra ainsi toujours un aspect régulateur. Il est cependant nécessaire que cette régulation ne possède plus de moyens de pression latents sur les établissements nocturnes car ils faussent durablement le rapport de force et empêchent toute médiation. L’action régulatrice servira en outre à garantir en pratique l’accessibilité aux lieux prévue par la loi. Elle veillera à ce qu’il n’y ait pas de pratiques d’interdiction d’accès aux établissements plus restrictives que la loi.

Faciliter : l’Etat devra avoir un rôle de facilitateur de la vie nocturne en accompagnant les initiatives événementielles et culturelles. Ce volet facilitateur s’attèlera à obtenir une meilleure exploitation des infrastructures actuelles existantes qu’il s’agisse de salles cantonales ou communales, de Maisons de Quartier, de friches industrielles ou de locaux désaffectés. En fonction des lieux et des cas de figure, nous proposons l’octroi de contrats de confiance, la mise en place d’une gestion associative sur l’exemple de celle de la salle du Terreau par notre Collectif, des partenariats de mise à disposition de locaux à des associations, l’instauration de contrats « jeunes » permettant d’obtenir des tarifs préférentiels de location de lieux et de simplifier les démarches administratives nécessaires pour l’organisation d’un événement. Parmi les autres mesures de facilitation de la vie nocturne, on peut citer l’organisation par les autorités de « nuits blanches » permettant, sur le modèle des manifestations organisées dans certaines villes en France, de faire connaître et de promouvoir le lieux et la culture nocturnes d’un territoire auprès de sa population.

Prévoir : pour porter une vision de la vie nocturne genevoise à moyen et long terme, cette politique devra se donner les moyens de la planifier. Cette planification permettra d’anticiper les problèmes nocturnes en veillant à la cohabitation des activités, de prévenir les manques en termes d’offre dans le futur, de maitriser les réserves foncières, d’analyser les opportunités foncières à exploiter, de programmer efficacement la vie culturelle nocturne dans les quartiers.

Construire une politique
de la nuit durable, globale
et transversale

Géographie nocturne

La vie nocturne ne doit pas être uniquement concentrée en Ville de Genève et dans quelques autres communes urbaines. Elle doit pouvoir se développer dans toutes les régions du canton. Néanmoins, nous constatons qu’une vie nocturne adéquate aux jeunes se constitue habituellement en pôles géographiques. Nous relevons l’exception des festivals présents dans divers communes genevoises ; ils forment un complément ponctuel cohérent à l’offre nocturne cantonale.

Planification nocturne

Nous militons pour l’instauration du principe de planification de lieux nocturnes dans le cas de projets urbains. Afin de prévoir son développement à long terme et d’ainsi assurer une gestion des risques, la vie nocturne doit être une composante urbanistique à part entière. Il est primordial qu’elle soit pensée lors des différentes étapes d’élaboration de construction ou de réaménagement d’un quartier. Il convient dès lors de réfléchir à un ensemble de mesures à tous les niveaux. Pour formaliser ce principe, notre idée d’une nouvelle fiche « vie nocturne » dans le plan directeur cantonal (PDCn) nous parait être un excellent point de départ à la construction d’une stratégie urbaine d’aménagement des lieux de vie nocturne. Celle-ci doit être suivie de projets concrets traduisibles dans les plans directeurs de quartier (PDQ), les plans localisés de quartier (PLQ) et les plans directeurs de zone industrielle (PDZI).

Diversité des modes de gestion

La diversité des modes de gestion des lieux et événements nocturnes doit être promue et facilitée. En effet, la diversité de l’offre culturelle et des types de sociabilité nocturne découle de cette variété.

Ainsi, la tendance au cloisonnement des activités, promulguée par la LRDBHD, nuit à cette diversité. Il est nécessaire de consulter les acteurs de la nuit avant la mise en place de nouvelles mesures afin d’anticiper des impacts sur la qualité de la vie nocturne.

Une vie nocturne diversifiée permet d’accueillir dans un cadre approprié différents publics aux attentes variées. Il s’agit ainsi d’une vie nocturne de qualité dont l’apprentissage par les jeunes est facilité. De plus, cela permet d’éviter la confrontation de lieux qui peut être nuisible à la vie nocturne dans son ensemble.

En amont de l’exploitation des activités nocturnes, la maitrise du prix du foncier des lieux doit tenir compte des différents modes de gestion, afin de favoriser une viabilité financière et d’ainsi augmenter l’indépendance vis-à-vis des subventions étatiques. Nous constatons qu’en l’état actuel des choses, les subventions étatiques sont capitales pour le maintien tant de la diversité des lieux nocturnes que des prix accessibles aux jeunes.

Cohabitation nocturne

Il est regrettable que des nuisances nocturnes conduisent à une confrontation entre les noctambules et les riverains, dont les besoins des uns comme des autres sont légitimes.

Il est de la responsabilité des autorités, en collaboration avec les acteurs concernés, de prévenir l’évolution vers une telle situation : en amont, les autorités doivent d’une part veiller à la mixité et la cohabitation des activités via la planification réfléchie de lieux nocturnes et l’inscription dans les baux de la présence d’activités nocturnes.

D’autre part, l’État doit s’assurer de la présence de services de médiation anticipant les éventuelles tensions. Cette médiation doit être extérieure aux services étatiques de régulation afin que la modération soit exempte de menaces administratives. Elle peut prendre la forme d’un organe de médiation ou d’un référent de nuit chargé du suivi des médiations par des médiateurs externes.

Lors du constat de nuisances nocturnes, les autorités doivent miser sur la médiation et soutenir les mesures, notamment les travaux d’aménagement et d’insonorisation, permettant le maintien des activités qu’elles soient d’intérieur ou de terrasse. Alors que les tenanciers d’établissement réalisent un travail de prévention et d’animation de quartier qui est trop peu salué, il est regrettable qu’ils soient systématiquement tenus responsables des nuisances produites même en dehors de leur cadre d’activité.

Cadre administratif

Les lieux nocturnes sont régis par deux types d’autorisation : les autorisations d’établissement et les autorisations d’événement de divertissement public. Elles permettent aux autorités cantonales et communales de connaître les lieux de rassemblement. La procédure d’autorisation doit permettre un lien entre autorités et organisateurs afin de faciliter l’information et la consultation tout au long de la procédure. À ce titre, une personne de contact au sein de l’administration faciliterait un échange entre les deux parties.

Premièrement, nous demandons que la procédure de demande d’autorisation soit claire et uniformisée, voire simplifiée pour les jeunes organisateurs. Les charges administratives sont en effet couteuses en énergie et en temps pour les requérants. L’inscription d’un événement au travers du guichet en ligne et une harmonisation des pratiques entre les différentes communes vont dans ce sens.

Deuxièmement, nous demandons que la procédure de demande d’autorisation soit rapide et progressive. Ce traitement rapide est nécessaire car la tendance de certaines institutions à délivrer les autorisations à la dernière minute est extrêmement dissuasive pour les organisateurs. Un préavis (autorisation de principe) délivré très rapidement après la demande limiterait par exemple l’effet suspensif d’une autorisation souvent délivrée tardivement.

Mobilité nocturne

Constatant le succès et la pertinence des Noctambus, nous nous prononçons en faveur d’un développement de ce service. En effet, les Noctambus constituent une alternative financière crédible aux moyens privés pour les retours de soirée ; ils sont absolument nécessaires compte tenu de la concentration actuelle de la vie nocturne au centre-ville. Ils permettent une meilleure gestion des risques, d’une part en proposant des alternatives efficaces aux transports individuels pour des personnes ayant consommé de l’alcool et d’autre part en formant un cadre adéquat pour les jeunes de par leur encadrement et la présence d’un médiateur dans la plupart des véhicules.

Les horaires Noctambus doivent correspondre aux moments de sorties des noctambules. En particulier, ils doivent s’adapter aux extensions horaires de la LRDBHD en intégrant par exemple les jeudis soir.

L’offre est déjà bien étendue avec une présence dans toutes les communes et un bon ancrage dans les communes rurales. Cependant, certains lieux ne sont desservis qu’une fois par nuit, d’autres ne sont pas desservis adéquatement. Il est nécessaire d’identifier les lignes à développer.

Nous demandons une meilleure visibilité de l’offre Noctambus, notamment via l’application smartphone TPG.

Dans le cas d’événements ponctuels (festivals, soirées estudiantines,…), les organisateurs mandatent régulièrement l’association Noctambus pour assurer des services de navettes. Dans beaucoup de cas, ces événements sont organisés par des jeunes. Nous souhaitons des coûts plus abordables pour ces services. Au niveau de l’organisation interne du service Noctambus, nous souhaitons une intégration de représentants des consommateurs au comité de supervision, en particulier des jeunes.

La bonne compréhension des enjeux et impacts de la vie nocturne dans la société par les pouvoirs publics est essentielle pour le développement d’une vie nocturne genevoise riche, vivante et diversifiée. Une collaboration sincère entre les acteurs nocturnes et les autorités est la base de toute amélioration de la situation. Dans cette optique, une véritable politique publique de la nuit, globale et transversale, est le moyen d’atteindre davantage de richesse, de vie et de diversité dans les nuits genevoises.

Ceci en partant de la réalité de terrain, c’est-à-dire de ceux qui sont et font la vie nocturne genevoise ; et ainsi d’éviter de nombreuses confrontations stériles. Nous sommes persuadés que la stabilité d’une société est aussi en grande partie due à sa cohésion sociale et à la diversité de ses composantes, dans le respect d’autrui. Dans le contexte de peur et de renfermement grandissant, il est d’autant plus important que les politiques assument leur rôle et soient responsables, non pas de la fébrilité future de Genève, mais au contraire de son épanouissement de jour comme de nuit.

Que la fête soit belle